la poésie

poésie, art du langage, qui se caractérise par la mise en jeu de toutes les ressources de
la langue (lexicales, syntaxiques, mais aussi sonores et rythmiques) afin de créer pour le
lecteur ou l'auditeur un plaisir à la fois intellectuel et sensible.
Le terme de « poésie » est l'objet de bien des contresens et de bien des malentendus :
« Certains, dit Valéry, se font de la poésie une idée si vague qu'ils prennent ce vague
pour l'idée même de la poésie. » Genre méconnu, peu populaire et peu lu, réputé difficile
d'accès, la poésie fait en outre l'objet d'un culte étrange qui consiste à respecter son
« mystère », à n'en avoir qu'une appréhension sensible, voire sentimentale, et surtout à
s'abstenir de tout discours de critique ou d'analyse littéraire.
Nous tenterons malgré tout de donner ici une définition de la poésie, en rejetant
d'emblée quelques idées reçues sur le genre.
La poésie est pour
tous
Il n’y a jamais eu en aucun temps et en aucun
pays autant de poètes dont les oeuvres sont
publiées, que dans notre pays, le Canada. Pourtant,
il semble que les lecteurs de poésie d'ici ne sont pas
plus nombreux qu'ailleurs. Cela tient sans doute à ce
que beaucoup de gens croient que la poésie est un
langage indéchiffrable, si on ne possède pas la clé
cachée pour la comprendre.
Poésie - beauté À mon sens la seule clé qui existe pour
comprendre et aimer la poésie c’est: la poésie ellemême.
Parce que, comme le dit Gaston Bachelard :
«le poète est celui qui a le pouvoir de déclencher le
réveil de l’émotion poétique dans l’âme du lecteur» .
Le grand poète, Paul Eluard, affirmait lui : «que le
poète est plus celui qui inspire que celui qui est
inspiré». Donc la vraie poésie est la seule qui
parvient à éveiller de l’intérêt chez le lecteur. La
vraie poésie s’adresse directement, sans passer par
l’intellect, au poète qui réside en chacun de nous.
Car nous sommes tous poètes. Nous sommes tous
capables de nous émerveiller, de ressentir une
émotion poétique devant un paysage,- devant la
beauté. Mais comme les images assez fortes pour
réveiller notre instinct poétique ne se présentent
pas constamment devant nous- le poète s’en charge.
Le poète a donc pour mission de multiplier en
nous les moments d’émotions intenses que nous
vivons quand nous prenons conscience de la beauté
autour de nous. Il le fait par l’éclat de son langage et
par l’abondance des images qu’il nous offre. Le poète
s’efforce de réveiller le poète endormi en nous. Il
nous empêche de perdre conscience de la beauté du
monde. Ce qui est fort important. Car la beauté est
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l’art pur. Elle est ce qui nous console de vivre. Un
petit proverbe persan exprime parfaitement cette
importance de la beauté dans notre vie : «Si tu me
donnes deux pains, j’en vendrai un pour acheter des
jacinthes pour nourrir mon âme».
Poésie - langage du
corps
La poésie est aussi un jeu du langage. Pour
exprimer la beauté le poète utilise les mots, les
sonorités, le rythme. Le poète joue avec les sons et
par là, inconsciemment, reproduit un plaisir oublié
de son corps : le jeu des sons. La poésie sourd du
plus profond de l’enfance du poète. Du temps où,
enfant, les sons et les rythmes étaient ses seuls
jouets. En effet, le bébé dans son berceau
découvre à un moment, que certains organes de son
corps produisent un bruit. Il éprouve alors un plaisir
très vif à reproduire ces sons qu’il rythme de plus
en plus rapidement avec les mouvements de ses
pieds et de ses mains. Il s’enivre, on dirait, des
sonorités que sa bouche produit dans son
apprentissage du langage. Ce plaisir se poursuit
tout au long de l’enfance, quand l’enfant joue avec
les mots, fabrique des comptines, les déplace
comme des jouets pour construire des phrases qui le
font rire et lui procurent des émotions. Comme
l’enfant, le poète s’enivre lui aussi des sonorités des
phrases et revit – inconsciemment - ce très ancien
plaisir du corps et des jeux. La poésie est donc très
sensuelle. Le poète, bien loin d’habiter les nuages,
est l‘être qui vit le plus près de son corps. Le plus
près de ses sens. Pour écrire le poète utilise
davantage ses sens que son intellect. Il est, comme
le dit Éluard : «un professeur des sens». Il nous
apprend à ressentir. Il est facile de découvrir, en
lisant les poètes, que constamment ils regardent,
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écoutent, sentent, touchent et goûtent. On dit
même, que cette sensualité de la poésie explique le
manque d’intérêt des occidentaux à son égard.
Notre éducation nous portant à repousser les
plaisirs du corps, le plaisir du jeu, le plaisir de vivre.
Tandis que les peuples primitifs et les Orientaux sont
naturellement ouverts, eux, à la poésie. Aussi, la
poésie est-elle toujours la première littérature d’un
peuple. Il y a toujours chez un peuple de grands
poètes avant d’y avoir de grands romanciers.
Poésie - outil -
mémoire du
langage
Comme la peinture et les autres arts, la poésie a
évolué au cours des siècles. Elle a d’abord servi de
support à la mémoire des hommes. Une sorte de
langage – outil pour les aider à retenir les textes
précieux qu’ils désiraient conserver dans leur
mémoire. En effet, la répétition des sons, la rime, le
rythme de la poésie aident à graver dans l’esprit les
mots. Il est plus facile de retenir un texte poétique,
qu’un texte en prose. C’est pourquoi tous les textes
sacrés de toutes les religions du monde ont un
langage poétique. De même que les prières, les
formules des rituels religieux, les chants de travail,
les récits épique… et bien sûr les formules magiques
dont il ne faut pas changer une seule syllabe si on
veut que la magie agisse! Avant l’invention de
l’écriture la poésie était le seul véhicule pour aider la
mémoire des hommes à transmettre les
connaissances essentielles d’une génération à
l’autre. Et parce que ces textes précieux ont été
transmis oralement, ils ne se sont pas momifiés dans
un langage archaïque. Ils sont encore aujourd’hui
très modernes. Le langage oral, contrairement au
langage écrit, conserve la parole vivante. C’est
pourquoi la poésie est souvent symbolisée par
l’oiseau phénix qui renaît constamment de ses
cendres.
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Poésie - charme et
séduction
Aussi bien pour exprimer la beauté que contient le
monde, que pour imprégner la mémoire et lui faire
porter jusqu’à nous les merveilleuses histoires du
passé, la poésie a utilisé la séduction. Ce charme et
cette séduction sont symbolisés par l’un des plus
célèbres personnages dont elle nous a transmis
l’histoire : Orphée. Orphée est considéré comme le
premier poète du monde. Poète à la cithare qui
charmait par ses paroles les hommes, les animaux,
les plantes et même les pierres. Il charmait aussi
bien sûr, les dieux! Sa femme, Eurydice, étant morte
à la suite d’une morsure de serpent, Orphée
descendit aux enfers pour convaincre les dieux de lui
rendre son épouse bien aimée. Touchés, les dieux
consentirent à la lui rendre. Mais ils exigèrent
qu’Orphée n’adresse pas la parole à Eurydice, ni ne
se retourne pour la regarder avant d’avoir atteint la
surface de la terre. Orphée ne tint pas cette
promesse et perdit Eurydice.
Orphée revit dans chaque poète et son histoire
symbolise toute la poésie. Elle symbolise le pouvoir
que donne la poésie sur la mort. La poésie et l’amour
étant seuls capables de vaincre la mort. Mais cette
victoire est sans cesse menacée par l’impatience du
désir. De plus, comme Orphée, le poète transgresse
les interdits. Il descend au fond du langage, au fond
de lui-même, ose regarder dans l’abîme de son être,
ou même parfois scruter l’invisible. Comme Orphée
le poète essaie de vaincre la mort en l’affrontant
avec ses paroles. Il essaie de la détruire ou d’au
moins la rapetisser comme fait René Char :
Mort minuscule de l’été
Détèle-toi mort éclairante
À présent, je sais vivre
Comme Orphée, tous les poètes de tous les temps
ont essayé de vaincre leur peur de la mort,- en la
nommant.
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Poésie – voyance Le poète donc - bien loin de vivre dans les nuages
- est plus près que personne de la réalité. Sa
conscience des choses qui l’entourent est plus vive
que chez la moyenne des autres hommes. Les
grands poètes ont tous interrogé dans leurs oeuvres
la vie, et aussi la mort. Ce qui a conduit la plupart
d’entre eux à parler de voyance. L’idée de - poète
voyant - est présente tout au long du dix-neuvième
siècle. Un poète allemand, Achim Von, a écrit : «le
poète est celui qui a accès à un autre monde». Un
autre a écrit que la poésie contient : «les souvenirs
de ceux qui se réveillèrent en esprit des rêves qui les
avaient amenés ici-bas». Gérard de Nerval écrit :
«seul le poète peut franchir ce seuil qui sépare la vie
réelle d’une autre vie». Victor Hugo, Beaudelaire,
Mallarmé, tous ont exprimé une idée similaire
jusqu’à ce que Rimbaud affirme lui, clairement :
«Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant ».
Poésie et
surréalisme
Cette idée de poète voyant et d’art anticipateur a
conduit au surréalisme et à l’écriture automatique.
Si l’art est anticipateur et le poète voyant, ce n’était
donc pas l’esprit du poète qui s’exprimait à travers la
poésie, mais plutôt son subconscient! Donc, si
l’inspiration venait du subconscient, elle
n’appartenait pas aux seuls poètes, mais à tout le
monde. Puisque chacun de nous a accès à son
subconscient. Cela conduisit à proclamer que la
poésie pouvait être faite par tous. Il suffisait de
prêter sa main à la voix du subconscient. Prendre un
papier et une plume et écrire toutes les idées qui
venaient à notre esprit sans les contrôler. Les
poètes surréalistes croyaient pouvoir ainsi inventer
un nouveau langage, changer le langage,- et par là
changer le monde.
Les poètes surréalistes n’ont pas réussi à changer
le monde. Mais ils ont libéré la poésie de ses formes
fixes. Ils l’ont purifiée en lui permettant d’exprimer
toutes les émotions sans les contraintes de la rime.
Le mouvement surréaliste fut très important pour
l’évolution de la poésie. Cependant les surréalistes
réalisèrent assez vite les dangers d’abandonner
totalement l’esprit à l’inconscient. Ils constatèrent
que tout ce qui venait de l’inconscient n’était pas
toujours génial, que l’inconscient avait une
propension à la paresse et aux répétitions. La
pratique de l’écriture automatique pouvait aussi
conduire l’esprit aux hallucinations et à la folie. Si,
par cette pratique, les grands poètes, qui
possédaient déjà la maîtrise du langage poétique,
pouvaient écrire de grands textes, ceux qui n’étaient
pas déjà poètes ne parvenaient pas à écrire de la
bonne poésie de cette façon. Réalisant que cette
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méthode d’écriture produisait le plus souvent une
poésie artificielle, et dépourvue d’émotion, les
poètes abandonnèrent ces pratiques pour revenir à
l’écoute de l’inspiration véritable. C’est à dire quand
l’esprit lucide contrôle l’apport du subconscient et
l’intègre à sa pensée et à ses émotions.
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Poésie moderne Cependant, la poésie qu’on dit moderne (parce
qu’elle est d’aujourd’hui, demain ce sera une autre)
sort directement du surréalisme par ses images. La
poésie moderne nous parle en images. «L’image, dit
Pierre Reverdy, est une création pure de l’esprit».
«L’image est avant la pensée» écrit » Bachelard. Elle
vient de la conscience et le poète moderne écrit en
étroite relation avec son être intérieur. Il relie
ensemble plusieurs images de la réalité pour en
faire jaillir une nouvelle qui séduit, plus par
l’émotion qu’elle dégage que par le savoir. Dans la
poésie moderne l’image est formée par le
rapprochement de deux réalités éloignées l’une de
l’autre, mais justes. Plus ces deux réalités sont à la
fois éloignées et justes, plus l’image contient de
puissance poétique. Le poète bouscule aussi la
syntaxe et la logique pour enfermer l’émotion et
l’empêcher de se dissoudre dans la monotonie d’une
phrase ordinaire. Il nous rend l’image de notre
premier regard. Les images des choses comme nous
les voyons la première fois, avant qu’elles ne soient
affadies par l’habitude de les regarder. Notre regard
ignorant. Par exemple Valéry écrit «soleil cou
coupé» Il n’explique pas que le soleil ressemble à
une tête au cou coupé. Il dit l’image exacte. Il n’est
pas nécessaire d’en comprendre le sens pour en
subir l’émotion. Le poète peint avec les mots les
images exactes de la réalité. Il utile le plus haut
pouvoir du langage : montrer.
Pour apprécier la poésie moderne il ne faut pas
utiliser son savoir. Mais demeurer dans la minute de
l’image, comme le dit Bachelard. Se laisser envahir
par les images, les laisser soulever en nous des
émotions, sans chercher à les nommer. Ces
émotions dépassent les mots, résonnent au tréfonds
de notre être, là où le poète en chacun de nous
attend qu’on le réveille.
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La poésie et le rêve La poésie et le rêve utilisent pour construire leurs
images l’énergie libre de l’inconscient. Il devient plus
facile de comprendre la poésie moderne si on
l’aborde comme on aborde ses rêves. Si absurdes
que nos rêves puissent nous apparaître parfois,
jamais nous leur refusons une secrète signification.
La poésie et les rêves sont produits par un processus
de l’inconscient qui fond ensemble plusieurs
pensées dans la même image. Une image qui a
plusieurs sens contient plus d’émotion.
Dans le rêve comme dans la poésie, les images se
détachent l’une de l’autre, reliées à une première -
plus forte- par toute une chaîne d’associations.
Quand nous repassons le matin les images de nos
rêves de la nuit, nous éprouvons un vif intérêt à
essayer de démêler ces chaînes d’association
d’idées. Car les rêves prennent racines dans nos
corps de rêveur. Nous construisons nos rêves avec le
contenu de notre mémoire consciente et
inconsciente. Nous y retrouvons ce que nous avons
vécu la veille, ou il y a longtemps. Tout cela
emmêlés. Mais aussi quelque fois des images
prémonitoires. Et aussi, selon Freud, certains de nos
instincts refoulés. La poésie, comme le rêve, donne
elle aussi la parole aux voix oubliées en nous. Celles
qu’essaie de faire taire notre éducation. Elle
construit ses images à partir de la mémoire du
poète. leurs racines sont profondément enfouies
dans son corps et dans sa vie, comme le rêve dans
le corps du dormeur. Sauf que, alors que le dormeur
est coupé de la réalité, le poète demeure lui, en
contact étroit avec le réel. Il est plutôt dans un état
de rêverie, comme dit Bachelard. Et c’est cette
différence de contact avec la réalité qui donne de la
poésie,- et non un rêve.

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